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L’extrême droite européenne s’organise depuis Bruxelles

Tournois de MMA conjoints, actions coup de poing communes, manifestations collectives.... Ces derniers mois, plusieurs groupes radicaux d'extrême droite ont multiplié les rencontres à travers l'Europe. L'objectif : se mobiliser au-delà des frontières pour contrer “l’immigration de masse”. Depuis les sous-sols viennois jusqu'aux clubs de sports flamands, l’ultradroite européenne se structure et se coordonne. 

«Remigration, sauvons notre nation!», «Reconquête!» Fin juillet 2023, la foule dans les rues de Vienne rassemble le gratin de l’extrême droite européenne. Elle exhorte les pouvoirs publics à stopper le flux d’immigration de masse accusée de «tous les maux qui rongent nos sociétés occidentales».

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Le Mouvement identitaire autrichien (IBÖ), à l’origine de la protestation, a été catégorique sur le mot d’ordre du jour : se faire entendre sans débordements violents. Un service d’ordre a même été mis sur pied pour garantir un défilé sans débordements. Ni les antifascistes qui organisent une contre-manifestation ni les membres turbulents du cortège ne doivent perturber l’événement et les relations avec la police autrichienne. Si des tensions surgissent, le service d’ordre intervient et déploie au besoin des parapluies pour se dérober aux caméras indiscrètes.

Si l’image publique est soignée, en coulisses, la violence reste de mise : en marge de la manifestation, un tournoi de Mixed martial arts (MMA) réunissant divers groupes d’extrême droite européens est organisé dans le sous-sol d’un bâtiment à Vienne. Au sein d’une arène de fortune faite de barrières Heras, le suisse T., qui assurait le service d’ordre de la manifestation, troque son brassard de sécurité pour une paire de gants renforcés. Les combats commencent. La violence glorifiée au service d’une rhétorique de combat. Sur les réseaux, les Belges R. et G. ont d’ailleurs qualifié les performances de «combat épique».

En marge d’une manifestation à Vienne, un tournoi de MMA a réuni divers groupes d’extrême droite européens. (DR)

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Flemish connection 

Plusieurs organisations étrangères apparaissent dans les colonnes du cortège. Les identitaires Azione Cultura Tradizione ( Italie), Identitær (Danemark), Reconquista21 (Allemagne) ou encore Junge Tat (Suisse) figuraient sur la liste des invités. Malgré son jeune âge, le leader du groupe helvète, Manuel Corchia, est déjà un vétéran du néonazisme. Au sein de son ancienne formation, Eisenjugend Schweiz, il avait diffusé de la propagande national socialiste et le manifeste de Brenton Tarrant, le terroriste australien d’extrême droite auteur de la tuerie de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en 2019 (51 victimes). Son groupuscule avait également perturbé une conférence en ligne de la Haute école d’art de Zurich à coups de «Heil Hitler» ou «Sieg Heil». Il avait plaidé l’erreur de jeunesse. Mais la découverte de plusieurs armes à son domicile lors d’une perquisition lui avait valu une condamnation.

Des visages belges sont aussi décelés dans la foule. Selon les multiples vidéos de l’événement que nous avons analysées, cinq étudiants de l’association flamingante NSV, rattachée à la KU Leuven, ainsi que R. et G., deux proches de Dries Van Langenhove au sein de Schild & Vrienden et du club de kickboxing Weerbaar, étaient présents en Autriche. A la fin de la manifestation, G. a Même pris la parole sur une scène improvisée au milieu de la place Am Hof. Il a appelé la foule à combattre «ce grand mal qui menace la vieille Europe et instrumentalise l’immigration de masse pour détruire son homogénéité», comparant les migrants à des «sangsues pour la sécurité sociale».

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Déportation massive

Martin Sellner, cofondateur du groupuscule autrichien IBÖ, s’est également exprimé en fin de cortège. Condamné pour avoir collé des autocollants avec des croix gammées sur une synagogue, et interpellé pour avoir reçu un don de 1 500 euros de la part de Brenton Tarrant, Seller est devenu le visage du mouvement identitaire européen.

Son nom résonne dans toute l’Europe et particulièrement en Allemagne depuis que le média Correctiv a dévoilé qu’il s’était réuni secrètement en novembre dernier, avec plusieurs hommes d’affaires et cadres du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) pour présenter son projet «Remigration». Son plan prévoit l’expulsion, voire la déportation, à grande échelle de millions d’étrangers ou Allemands d’origine étrangère. Depuis ces révélations, plusieurs centaines de milliers d’Allemands sont descendus dans la rue pour manifester contre le fascisme et appeler leurs compatriotes à bloquer l’AfD lors des prochains scrutins européens et locaux de 2024.

Alliance européenne 

Une semaine après l’attentat terroriste de Bruxelles qui a coûté la vie à deux supporters suédois de football, Dries Van Langenhove y réunit les représentants de 14 groupes européens d’extrême droite. On retrouve les mêmes visages identifiés en Autriche : des Français, des Allemands, des Hongrois, des Danois, des Suisses (Corchia), des Autrichiens (Sellner) mais aussi des Néerlandais du groupe Geuzenbond, une organisation identitaire néerlandophone transfrontalière active aux Pays-Bas et, depuis peu, en Belgique, dont nous avons identifié plusieurs membres.

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Le «groupe des 14» a décidé de concrétiser l’opération Action Radar Europe, supposée protéger le continent de l’immigration massive. Fin octobre 2023, ils ont déployé une banderole géante «Remigration» devant le Parlement européen et ont enregistré une vidéo qui utilise la rhétorique habituelle : «L’Europe est mourante en raison de la terreur, des viols collectifs et de la destruction de la sécurité sociale.» Beaucoup se rendront ensuite au club de boxe Weerbaar à Opwijk pour une session de sport et la réalisation d’une nouvelle vidéo – l’occasion de mettre en scène les troupes au combat avec, comme point d’orgue, un face-à-face entre Van Langenhove et Sellner.

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Cela fait des années que Dries Van Langenhove cultive les contacts à l’international. Il a toujours entretenu des liens très étroits avec le groupe radical français Génération identitaire. Même si l’association a été dissoute en 2021 pour avoir traqué des migrants dans les Alpes et les Pyrénées, le groupe Schild & Vrienden rencontre encore ses anciens membres comme Aurélien Verhassel ou Raphaël Brasseur, dans le bar patriote La Citadelle, à Lille, ou à Bruxelles.

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Si ces groupes n’ont pas tous les mêmes objectifs, ils partagent une certaine idéologie, ce qui favorise les connexions. «Je parle souvent de galaxie d’extrême droite : des acteurs qui ont parfois des référentiels différents, des outils et des répertoires d’actions bien distincts mais qui gravitent les uns autour des autres, avec ce fond idéologique et d’extrême droite très commun», commente Benjamin Biard, chargé de recherches au Crisp, le Centre de recherche et d’information sociopolitiques.

Percée politique

La banderole au Parlement européen est le premier fait d’armes. Depuis, Action Radar Europe relaie et célèbre les actions de ses membres identitaires : l’occupation de centres pour demandeurs d’asile à Dresde et Albstadt, en Allemagne (à laquelle le flamand R. a pris part), une protestation contre la construction prochaine d’une mosquée sur l’île de Bornholm, au Danemark, une contre-manifestation contre des mouvements LGBTQIA+ à Vienne. Les groupes coordonnent leurs actions et encouragent leurs homologues à y participer.

Après la rue, l’arène politique. Certains élus du Vlaams Belang n’hésitent plus à parler ouvertement de «remigration» et de «grand remplacement». Mi-janvier à Strasbourg, le député européen Tom Vandendriessche a brandi sans complexe le mot «omvolking» (migration de remplacement ou remplacement) en séance plénière. A la suite de son intervention, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a demandé l’ouverture d’une enquête sur cette «terminologie nazie» pour déterminer si elle enfreint les règles de l’assemblée sur l’emploi d’un «propos offensant».