De 11 000 à 33 000 euros : quel est le revenu moyen dans votre commune ?
Des communes périurbaines aisées aux centres-villes plus pauvres, le niveau de vie des Belges varie fortement selon leur lieu de vie. Voici les tendances majeures, en chiffres et en cartes.
Accorder un nom de saint à une commune n’est visiblement pas un gage d’opulence. 22 167 euros, très exactement. C’est la différence entre le revenu moyen par habitant de la commune la plus pauvre du pays, Saint-Josse-ten-Noode (11 082 euros), en région bruxelloise, et celui de la plus aisée, Laethem-Saint-Martin (33 249 euros), au sud-ouest de Gand.
Sur le plan socioéconomique, les 581 communes belges font face à des réalités très variées. Certaines doivent leur fortune ou leurs difficultés à leur emplacement géographique plus ou moins privilégié, d’autres à l’héritage d’un passé dont on ne tourne pas si facilement la page.
On le sait, la Flandre est aujourd’hui nettement plus aisée que la Wallonie et que la capitale. Il n’en fut pas toujours ainsi. Du XIXe jusqu’au milieu du XXe siècle, c’est au sud du pays qu’était situé le centre de gravité économique, porté par ses charbonnages et son industrie sidérurgique.
Mais le déclin du charbon, combiné à l’émergence du pétrole et de ses produits dérivés à partir des années 1960, concourut à un basculement durable des investissements vers la Flandre. Ce qui, inévitablement, affecta la distribution globale des revenus.
L’analyse du revenu moyen net imposable par habitant s’avère riche en enseignements. Celui-ci inclut les revenus des biens immobiliers, revenus et recettes de capitaux et de biens mobiliers, revenus professionnels et revenus divers, renseigne Statbel, l’office belge de statistique.
Il prend aussi en compte les revenus de travailleurs transfrontaliers. Mais comme il porte sur les revenus imposables, cet indicateur reste imparfait à plusieurs niveaux.
« C’est particulièrement vrai pour les classes de revenus les plus faibles et les plus élevées, commente François Ghesquière, attaché scientifique à l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps). D’un côté, le revenu d’intégration sociale et les allocations familiales ne sont pas pris en compte. De l’autre, les déclarations mesurent assez mal les revenus du patrimoine. Et certaines catégories de travailleurs ne doivent pas déclarer leurs revenus du travail. Je pense par exemple aux fonctionnaires internationaux et aux chercheurs bénéficiant de bourses de doctorat. Enfin, le revenu des indépendants n’est pas toujours un indicateur fiable de leur niveau de vie, compte tenu des déductions d’impôt et de leur éventuelle société. »
Le Bruxellois gagne en moyenne 26% de moins que le Flamand moyen
À la différence du revenu médian, identifiable par déclaration et non par habitant, le revenu moyen est susceptible d’être influencé par les valeurs extrêmes. Ainsi, la présence de « super-riches » dans une commune tirera la moyenne vers le haut, biaisant le niveau socio-économique réel – d’autant que cette moyenne ne comptabilise pas les déclarations à revenu nul, qui représentent tout de même 8% du total. Malgré ces limites, le revenu moyen par habitant reste un indicateur pertinent pour identifier des tendances géographiques. Il s’élève à 20 357 euros par an à l’échelle belge, 21 776 euros en Flandre, 19 192 en Wallonie et à 16 068 euros dans la Région de Bruxelles-Capitale.
Province
À l’échelle des provinces, le revenu moyen par habitant confirme la trajectoire historique du pays. Du fait de l’attractivité de la capitale, en tant que pôle d’emploi majeur, les deux provinces du Brabant sont celles où les Belges gagnent le mieux leur vie.
Suivent l’ensemble des autres provinces flamandes, puis les provinces wallonnes. Berceaux de la gloire industrielle passée, les provinces de Liège et de Hainaut figurent aujourd’hui en bas de tableau.
Arrondissement
L’analyse des 43 arrondissements du pays confirme le contraste nord-sud : dans le classement des plus pauvres aux plus riches, le moins bien loti de Flandre n’apparaît qu’en quinzième position, derrière Bruxelles-Capitale et quatorze arrondissements wallons. Au sud du pays, précisément, cette cartographie laisse apparaître deux tendances. Horizontalement, des niveaux de revenus inférieurs dans les anciens pôles industriels majeurs, le long du sillon Sambre et Meuse. Verticalement, une situation plus favorable le long de l’axe E411 : entre la capitale et Namur, côté nord, puis à proximité du Grand-Duché de Luxembourg, côté sud.
La répartition du revenu moyen par habitant révèle un phénomène particulièrement belge : la périurbanisation
En plaçant le maillage à l’échelle des communes, la répartition du revenu moyen par habitant révèle un autre phénomène particulièrement belge : la périurbanisation. « Depuis plusieurs décennies, on constate que bon nombre de jeunes ménages actifs, en quête d’une maison avec jardin, quittent les grandes villes, pour s’installer dans une commune de périphérie, décodait Yves Hanin, professeur à la Faculté d'architecture, d'ingénierie architecturale et d'urbanisme de l’UCLouvain, dans un dossier du Vif sur l’évolution des revenus. Certains s’en éloignent même davantage, en fonction des prix de l’immobilier. »
Bon nombre de jeunes ménages actifs, en quête d’une maison avec jardin, quittent les grandes villes, pour s’installer dans une commune de périphérie
Les comparaisons dans le temps sont à prendre avec précaution, notamment en raison de l’évolution de la fiscalité. Cependant, la progression des revenus médian par déclaration, de 2000 à 2020, dresse un implacable constat : 70% des communes d’au moins 25 000 habitants sont moins riches qu’avant, comme le montre ce tableau.
Contrairement à la plupart des pays européens, les Belges qui en ont les moyens privilégient en effet les communes de périphérie aux grands centres-villes, à l’exception notables de certains quartiers dans la capitale.
Bruxelles, Charleroi, Liège et même Anvers : dans des proportions diverses, ces pôles se voient cernés d’entités souvent (beaucoup) plus aisées, accueillant entre autres davantage de maisons quatre façades. Le même constat vaut pour des centres-villes comme Mons ou Namur. S’il y semble moins marqué, c’est en raison de la superficie de leur territoire communal, qui inclut lui-même un grand nombre de villages et quartiers de périphérie. Mais à l’échelle encore plus fine des quartiers statistiques, la tendance est bel et bien similaire : leur centre-ville est en moyenne significativement plus pauvre que les localités qui l’entourent.
Parmi les communes plus pauvres, deux profils se distinguent en Wallonie. D’un côté, on retrouve des entités urbaines ou semi-urbaines, dont la population est plutôt jeune : La Louvière, Charleroi, Châtelet, Farciennes, Liège, Seraing, Herstal, Saint-Nicolas, Verviers, Dison… De l’autre, il y a des communes plus rurales, vieillissantes (comme l’atteste la proportion de bénéficiaires de la Grapa, la Garantie de revenus aux personnes âgées disposant de faibles ressources financières) et éloignées des principaux pôles d’emploi, en particulier le long de la frontière française. Elles sont prédominantes à l’ouest de la frontière linguistique, ainsi qu’au sud des provinces de Hainaut et de Namur.
10 communes wallonnes les plus pauvres |
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Farciennes |
13.328 € |
Dison |
13.534 € |
Charleroi |
14.560 € |
Colfontaine |
14.720 € |
Saint-Nicolas |
14.973 € |
Quaregnon |
15.306 € |
Boussu |
15.431 € |
Châtelet |
15.446 € |
Seraing |
15.487 € |
Verviers |
15.602 € |
Malgré des prix immobiliers plus faibles, elles peinent à attirer des ménages actifs, du fait de leur emplacement géographique. Ces deux typologies de communes présentent toutefois des points communs tels qu’un taux de chômage plus élevé et une proportion plus importante de bénéficiaire d’un revenu d’intégration sociale.
À l’opposé du classement, les communes les plus riches sont logiquement situées dans le Brabant wallon, près du Grand-Duché de Luxembourg, mais aussi sur le pourtour de Namur et de l’agglomération liégeoise. Leur attractivité réside à la fois dans leur proximité avec des pôles d’emplois et dans leur caractère périurbain, comme évoqué plus haut.
10 communes wallonnes les plus riches |
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Lasne |
29.026 € |
Attert |
28.025 € |
Chaumont-Gistoux |
26.754 € |
Neupré |
26.697 € |
Waterloo |
25.911 € |
Chaudfontaine |
25.844 € |
Nandrin |
25.705 € |
La Hulpe |
25.405 € |
Rixensart |
25.335 € |
Grez-Doiceau |
25.070 € |
Les différences de revenus sont plus importantes au sein des communes qu’entre celles-ci
Il serait toutefois faux de penser que les communes plutôt riches n’abritent qu’une population aisée, et vice versa. C’est ce que prouve le coefficient interquartile des revenus nets imposables par déclaration. Plus ce coefficient est élevé, plus l’écart de revenus au sein d’une même entité est important. À l’inverse, plus il est faible, plus les revenus de la population sont homogènes.
Cette cartographie révèle qu’en moyenne, les communes les plus riches sont aussi celles où les revenus par déclaration varie le plus fortement. « C’est assez logique, relève François Ghesquière. Contrairement à la pauvreté (les revenus ne peuvent être inférieurs à zéro), il n’y a aucune limite à la richesse. Les communes aisées peuvent de ce fait compter des ménages riches, très riches et très, très riches. » Ce coefficient démontre entre outre que les différences de revenus sont plus importantes au sein des communes qu’entre celles-ci.
À Seraing, le revenu médian du quartier le plus huppé est 2,5 fois plus élevé que celui du quartier le plus pauvre
C’est aussi ce que révèle l’analyse du revenu médian par quartier statistique. Ainsi, le quartier le plus aisé de Charleroi est plus riche que le plus pauvre de Lasne. A Bruxelles-Ville, le revenu médian du quartier des Marolles est presque deux fois plus faible que celui du quartier royal : 15 572 contre 29 708 euros en 2019, selon les données de l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse (IBSA). En Wallonie, c’est à Seraing que l’inégalité est la plus marquée : le revenu médian est 2,5 fois plus élevé dans le petit quartier de la Cense Rouge que dans celui de la gare d’Ougrée. Il ne serait toutefois pas pertinent d’en conclure que les communes aux revenus moins homogènes sont de mauvaises élèves. « Un coefficient interquartile plus élevé reflète aussi une plus grande mixité sociale », souligne l’attaché scientifique de l’Iweps.
Logiquement, les revenus des habitants constituent une base essentielle pour les finances fédérales, régionales et communales (via les centimes additionnels). Pour les communes wallonnes, l’impôt des personnes physiques (IPP) constitue la deuxième plus grande source de recettes fiscales (37%), derrière le précompte immobilier (39%), souligne la dernière étude de Belfius sur les finances locales. Il en va de même pour les communes bruxelloises, même si la contribution de l’IPP y est plus limitée (19%). En Wallonie comme en région bruxelloise, le redressement socioéconomique passera inévitablement par une augmentation substantielle du revenu moyen par habitant. Une dynamique d’autant plus complexe à financer – et donc à enclencher – dans les bassins de vie aux plus faibles revenus, qui ne sont pourtant pas dénués d’atouts.
Texte : Christophe Leroy
Enrichissement : Christophe Leroy & Thomas Bernard
Mise en ligne : février 2024